"Le Soleil
Québec
Sans le spectacle présenté devant le parlement, en fin d’après-midi, la journée du 400e anniversaire aurait constitué un four. Un authentique flop. Un vrai de vrai.
D’abord à cause de la pluie, qui tombait tellement dru que les poissons du bassin Louise auraient pu se sortir la tête de l’eau tout en continuant à respirer. J’exagère. Car si la journée a failli être vraiment assommante, c’est surtout parce qu’une partie du programme «officiel» semblait avoir été planifiée par le sergent-major d’un régiment colonial, rapatrié de l’époque victorienne.
Le salut à Champlain, les discours empesés des grosses légumes, le défilé militaire, tout cela aurait pu se dérouler en 1908, voire en 1808.
Pire encore, certaines parties du sermon prononcé par l’archevêque de Québec, Mgr Ouellet, lors de la messe célébrée à la Basilique avaient l’air empruntées au XVIIe siècle...
En dehors des historiens ultra-spécialisés, qui d’autre que Mgr Ouellet attache encore de l’importance au fait que Champlain, un protestant à l’origine, soit devenu plus ou moins catholique, au fil du temps?
Cela rappelle les théologiens qui se chamaillaient pour déterminer si Jésus pouvait être propriétaire de sa tunique. Docteur, pouvez-vous faire quelque chose?
C’est en prêtant attention aux discours prononcés hier que l’on réalise à quel point la machine était détraquée.
Par exemple, pourquoi la gouverneure générale, Michaëlle Jean, s’acharne-t-elle à citer Pauline Julien et Gaston Miron, entre deux clichés sur le Canada? Bien sûr, l’œuvre de ces artistes considérables n’est pas réservée aux indépendantistes. Mais il y a des limites. On jurerait qu’elle veut s’approprier tous les symboles indépendantistes pour les vider de leur sens.
Et que dire des allusions du premier ministre Harper aux bonnes relations avec les peuples autochtones? A-t-il déjà oublié que son gouvernement a rejeté la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, l’an dernier? Le premier ministre français, François Fillon, a fait encore mieux. Sa tirade sur l’arrivée de Champlain, dans un pays «de bois épais, sans loi, peuplé d’Indiens», aurait pu être empruntée à un livre de bandes dessinées intitulé Bécassine chez les peaux rouges.
Heureusement qu’il y avait quelques manifestants pour rappeler que nous étions en 2008. Sans eux, on pouvait se croire en visite chez les Teletubbies, dans un pays où la guerre n’existe pas et où il y a du tubbydélice pour tout le monde.
Je vous en conjure, ne dites pas que le moment était mal choisi. Ou que certains manifestants étaient mal engueulés.
À écouter les uns et les autres, il n’y a JAMAIS de moment approprié pour manifester. Ni d’endroit convenable. Encore moins de manifestants assez polis. À part, peut-être, des gens qui défileraient en complet-cravate, au fond du troisième étage d‘un stationnement souterrain situé dans une lointaine banlieue, vers 23h, un dimanche d’hiver, en scandant des slogans rédigés en alexandrins?
J’ouvre ici une parenthèse pour rappeler que lors des fêtes du 300e de Québec, en 1908, un bris d’aqueduc avait privé d’eau une partie de la ville. Et vous savez ce que les journaux de l’époque avaient rétorqué à ceux qui voulaient exprimer leur mécontentement?
Je résume. «Pas le bon moment pour nous embêter. Vous ferez cela quand la visite sera partie.»
Un petit mot sur le travail de la police antiémeute. À titre de journaliste, j’ai couvert des manifestations en Israël, en Serbie, en Irlande du Nord, au Kosovo, en Roumanie, dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Jamais, avant hier matin, des policiers ou des militaires n’avaient menacé de m’arrêter simplement pour avoir observé une manifestation.
S’il ne s’agissait que de ma petite personne, l’incident n’aurait guère d’importance. Sauf qu’hier, on pouvait entendre des policiers invectiver des manifestants, en utilisant des termes qu’on pourrait difficilement publier. Si ces policiers ne parviennent pas à garder leur sang-froid devant quelques dizaines de jeunes assez inoffensifs, comment réagiront-ils devant de vrais durs, durant une vraie crise?"
- Jean-Simon Gagné
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire