dimanche 20 janvier 2008

Quelques minutes d'Histoire

Élisée Reclus(1830-1905), libertaire et géographe, fut l’un des pionniers de la géographie sociale. À travers ses voyages un peu partout sur la planète, il a étudié les relations que les humains avaient avec la nature et comment ils vivaient dans leurs milieux distincts. Du 6 juin au 4 juillet 1889, il a voyagé à travers le Québec et fait part de ses notes dans divers publications, dont les explications du temps restent encore aujourd’hui très intéressantes en ce qui a trait à l’Histoire sociale. Anecdote à part, durant son voyage, il avait d’ailleurs rencontré, à Roberval, un réfugié de la Commune de Paris qui vivait là-bas avec toute sa famille (la famille « La liberté »!).

Je vous fait aujourd’hui part d’un passage très intéressant pour revenir sur les événements de la colonisation de l’Amérique, alors que l’information sur le sujet s’appauvrit pour le « divertissement général », en ces temps de « Québec 2008 ».

Aussi, nos questionnements sont encore importants en 2008, à savoir, si le rôle qui est attribué aux régions ne les réduits pas à leur perte. De vastes étendus du territoire de la région et des bouts de la rivière Saguenay appartiennent encore aujourd’hui à de grandes entreprises étrangères (qui n’ont pas à payer de taxes !). La solution n’est pas de fuir pour la métropole, mais de s’organiser sur des bases populaires et de reprendre contrôle sur nos vies!

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(la citation parle d’abord du 16ième siècle)

« …Le peuplement de la contrée par des émigrants venus de France et d’autres lieux était presqu’impossible, ces longues étendues de côtes et tout l’arrière pays ayant été donnés en monopole à des personnages bien en cour qui n’étaient pas assez riches pour faire exploiter le sol, mais qui voulaient interdire à tous autres d’y faire commerce ou profit. Tandis que la péninsule d’Acadie, la future Nouvelle-Écosse appartenait à M. de Poutraincourt, une dame, Mlle de Guercheville, était censée la propriétaire de toute la Nouvelle France, à l’ouest de la péninsule d’Acadie, et les agents de la concessionnaire étaient autorisés par le roi à pourchasser tous les étrangers ou Français qu’ils rencontraient « dans la rivière plus haut de l’endroit de Gaspé » ; au-delà « tout trafic et commerce » restaient interdits à « tout capitaine, pilote, marinier et autres de la mer océane [1].

C’est ainsi que la colonisation fut retardée et même complètement empêchée pendant un siècle. Partout la foule des pêcheurs dut se contenter d’abris temporaires. Des colons ne purent officiellement prendre possession du sol et fonder des établissements permanents qu’au commencement du dix-septième siècle, en 1604, à Port-Royal de l’Acadie – maintenant Annapolis- et en 1608, à Québec, c’est-à-dire au « Détroit », au dessus du large port que forme la rivière Saint-Charles à son confluent. Mais les quelques immigrants amenés au Canada par Samuel Champlain n’étaient pas même assez ingénieux pour savoir trouver leur nourriture en ces terres fécondes, au bord de ce fleuve poissonneux : quand les provisions envoyées de France venaient à manquer, la famine régnait et le scorbut emportait les colons. En dehors de la vaine recherche de l’or et du commerce des « pelus » ou pelleteries, les nouveau-venus ne connaissaient aucun métier et n’avaient aucune initiative. Il fallut le génie du Parisien Hébert pour inventer le jardinage sur cette terre fertile qui ne demandait qu’à produire. À la pauvreté et à l’incurie des concessionnaires, à l’ignorance des colons, s’ajoute bientôt une autre cause de lenteur dans l’appropriation du sol : ce fut l’intolérance religieuse.

Les immigrants présentés en plus grand nombre, si le gouvernement colonial avait autorisé le peuplement spontané, auraient été les protestants, puisque la plupart d’entre eux étaient persécutés dans la mère-patrie et que, d’ailleurs, le changement de foi, la rupture des liens traditionnels, les dures nécessités d’une existence nouvelle les douaient d’une certaine initiative. En effet, dans les premiers temps, des huguenots, venus surtout de la Saintonge, débarquèrent au Canada. D’abord protégés par l’esprit de tolérance qui avait dicté l’édit de Nantes, ils furent bientôt obligés de quitter la colonie : la pratique d’orthodoxie intransigeante finit par se préciser et l’unité de foi prévalut, au grand profit matériel du clergé, devenu souverain.

Les vrais rois du Canada, desquels dépendaient les gouverneurs aussi bien que les colons, étaient les missionnaires jésuites : toutes les hautes situations leur étaient acquises et les terres les plus riches leurs appartenaient, en même temps que, par la dîme, une part considérable de la propriété des fidèles. À côté de cette aristocratie de la compagnie de Jésus, les franciscains, les frères récollets aux pieds nus étaient tenus pour une sort de plèbe religieuse, bonne tout au plus à convertir les indigènes, avec lesquels elle s’associait volontiers.

Maîtres de la terre, les jésuites eussent voulu également posséder le monopole du commerce et voyaient de très mauvais œil les aventuriers qui s’enrichissaient par le commerce des fourrures. Les ordonnances formelles, sollicitées par eux, défendaient aux « coureurs », sous peine de galères, d’aller chasser à plus d’une lieue de distance. Il en résulta que ces « chercheurs de pistes », obligés de fuir la société policée, allaient vivre chez les Indiens, qui les accueillaient en frères, et que leurs familles, composées de « bois brûlés », c’est-à-dire métis, se résorbaient peu à peu dans la population aborigène.

L’alliance du sang entre les colons français et les tribus de Peaux rouges, »… « fut réprouvée par les directeurs spirituels du Canada comme une pratique immorale, et l’on préféra s’adresser aux prêtres des paroisses françaises pour envoyer des orphelines, de même qu’à la police de Paris pour trouver dans les asiles et les prisons des femmes chargées de maintenir sur les bords du Saint-Laurent la pureté du sang européen. C’est grâce à ces arrivées de personnes à marier que les Canadiens du bas fleuve sont restés Français d’origine authentique [2].
»


[1] Benjamin Sulte, Histoire des Canadiens français
[2] Benjamin Sulte, Prétendue Origine des Canadiens français

Source : L’Homme et la Terre, Élisée Reclus (1905) – Tome 4, Chap. 13, p.442-445 (puisé sur la bibliothèque numérique Gallica)

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Les principaux colonisateurs de l’Amérique ont diffusé le mythe de la supériorité de leur race sur les autres et de la nécessité de civiliser les autres peuplades, afin de justifier la prise de possession qui s’en suivait. Les européens ont ainsi posé leurs titres de propriété sur les terres d’Amérique(« la Grande tortue »), qui pour les autochtones, n’appartenaient à personne mais que tous et toutes doivent respecter. Je vous laisse sur une question :
Comment est-ce que ce mythe se porte de nos jours ?

Note supplémentaire : À Québec, demain (Lundi, le 21) à 19h, aura lieu au Café-bar l’Agitée (251 Dorchester), une rencontre large sur la possibilité de montrer «l’autre visage du 400e».

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